top of page

6

Je m'appelle Claesinne van Niewlant et j'ai vécu ici dans le béguinage jusqu'à ma mort en 1611. J'étais une sorte de légende vivante à mon époque, ce qui est pourtant contraire à ma nature. Je menais une existence recluse, totalement sous l'emprise de Dieu. Je voulais m'unir complètement à lui, en abandonnant tous mes biens, par exemple, pour me tenir devant le Christ aussi nue qu'il m'avait créée. Ce dernier point provoquait des angoisses ici et là, mais c'est une façon de dire, je suis sûr que vous comprenez. 

Néanmoins, j'avais une nature ardente. Chaque fois que j'entrais dans notre église pour les offices, mon cœur se dirigeait vers le tabernacle plein de désir, où la chair et le sang du Christ brûlaient comme une flamme qui m'appelait à elle et m'enveloppait complètement. Je le sais parce que mes consœurs s'en souvenaient et le claironnaient partout. Que je suis sainte, que je suis touchée par le Ciel. Moi, j'étais ailleurs, dans un espace hors de l'espace, où il n'y avait que l'Amour. Ni temps ni éternité n'existaient.

Chaque fois que Mon Divin Bien-Aimé s'annonçait, disaient mes consœurs, une lueur intense semblait me soulever. Certaines disaient même qu'elles avaient dû s'accrocher à ma robe parce que sinon j'aurais touché le plafond. Je ne sais pas. 

J'étais « sur-essentiel » lors de mes expériences mystiques. C'est ainsi que je l'appelais moi-même, parce qu'il n'y avait pas de mot pour cela. Et je n'aurais pas eu à l'inventer si mes consœurs n'avaient pas eu la brillante idée d'envoyer un prêtre érudit à mes trousses, qui Il m'a interrogé jusqu'à ce que je m'écroule et a transformé mes déclarations en un livret. Ma notoriété s'en est trouvée considérablement accrue, de mêmes que mon embarras.

J'aime toujours rester en retrait, comme vous pouvez le voir parce que vous ne pouvez pas me voir. Et surtout, je préfère me taire. Pour la splendeur de la création et la gloire de Dieu, les mots sont des tasses bien trop étroites, je pense. 

Asseyons-nous ici, l'un à côté de l'autre, en silence, pendant un moment. Entendre le bruissement du feuillage des arbres. Regarder le mouvement des brins d'herbe, au souffle du vent. Et s'écouler plein de calme et de paix, céleste ou terrestre, ou sur-essentiel.

bottom of page